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Sexualité


Sexualité
Ensemble des comportements et des pratiques qui, au-delà de la reproduction biologique, visent à atteindre la satisfaction de l’instinct sexuel.
L’idée d’un champ unifié et homogène de pratiques visant un même but — le plaisir sexuel — est une idée récente, comme l’a souligné Michel Foucault dans son Histoire de la sexualité (3 volumes, 1976-1984). Dans la Grèce antique, par exemple, les pratiques considérées aujourd’hui comme relevant de la sexualité furent abordées dans des ouvrages traitant de médecine, de diététique, de morale, etc. Il n’existait pas, avant le XIXe siècle, d’ouvrage consacré spécifiquement à la sexualité. Le terme «sexualité» lui-même, qui ne prit son sens actuel qu’au début du XXe siècle, n’apparut en français qu’au XIXe siècle, pour désigner le caractère de ce qui est biologiquement sexué.
Théorie de la dégénérescence
À l’époque moderne, la réflexion sur la sexualité s’est constituée essentiellement dans le domaine de la morale. Ce n’est que progressivement que la sexualité comme telle est devenue, au cours du XIXe siècle, un problème intéressant la médecine et en particulier la psychiatrie.
En 1857, le médecin aliéniste Bénédict Augustin Morel (1809-1873) publia son Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de l’espèce humaine, ouvrage qui eut une influence considérable sur la réflexion sur la sexualité en milieu médical pendant la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Inspiré par la philosophie conservatrice de Louis de Bonald, ce traité commence par postuler l’existence d’un type primitif de l’humanité constituant son état «normal», pour décrire par la suite un certain nombre d’états maladifs comme des «dégénérescences», dans la mesure où ils s’éloignent progressivement, et d’une manière inexorable, du type primitif.
Les causes qu’il assigne à la dégénérescence sont les vices de toute sorte et la révolte contre l’ordre moral, l’alcoolisme, l’ascendance syphilitique, l’abus des drogues et du tabac, la paresse, les endémies comme le paludisme, etc. Opérant par là un glissement du domaine moral au domaine médical, il conçoit la dégénérescence comme essentiellement héréditaire, introduisant le concept d’hérédodégénérescence.
Malgré la confusion évidente qui règne dans le choix de ces prétendues causes et l’absence d’une base génétique sérieuse (la génétique n’en était alors qu’à ses tout premiers balbutiements), ce concept connut une vogue considérable parmi les médecins aliénistes à qui il permit de revendiquer pour leur discipline, le statut de branche de la médecine somatique, en désignant le corps de leur patient comme source des anomalies expliquées au départ par des causes purement morales.
Se réclamant de Buffon pour postuler l’unité primitive de l’espèce humaine, Morel affirmait en même temps que les «races», les familles et les individus se distinguent par leur inégale proximité du type primitif. Selon lui, la «dégénérescence» se traduit de façon privilégiée dans le domaine de la sexualité : l’unité de l’espèce humaine se manifestant, d’après Buffon, dans le fait que tous les humains sont aptes à se reproduire entre eux, plus une forme d’humanité est éloignée du type primitif, plus sa capacité de se reproduire avec d’autres types humains devient problématique; le genre humain devient une chose difficile à réaliser, et les êtres maladivement dégénérés ne peuvent former des «races». Les formes les plus complètes de la dégénérescence se manifestent par l’impuissance sexuelle et l’incapacité totale de se reproduire : «Le terme extrême de la dégénérescence existe, lorsque l’individu appartenant à telle ou telle classe d’êtres dégénérés est non seulement incapable de propager dans des conditions normales la grande et unique famille du genre humain, mais se montre complètement impuissant.»
Pour Morel, la sexualité humaine en tant que telle n’est pas un objet de la pratique médicale. Seules ses formes déviantes ou «perverties» peuvent être lues comme des symptômes de la dégénérescence et doivent être interprétées comme une sorte de «défense immunitaire» de l’humanité visant à écarter de la reproduction les êtres s’éloignant par trop du type primitif et idéal. La dégénérescence héréditaire étant, dans l’esprit de Morel, incurable, on ne peut envisager qu’un traitement préventif, consistant d’une part à combattre les vices (paresse, alcoolisme, tabagisme, etc.) qui en constituent les causes, d’autre part à dissuader les êtres déjà atteints de se marier, pour éviter qu’ils ne contaminent une famille encore saine.
Psychologie des états de conscience
Historien de la psychologie, partisan fervent de l’école expérimentale, Théodule Ribot montra dans la Psychologie anglaise contemporaine (1870) et dans la Psychologie allemande contemporaine (1879), comment la psychologie devint une science à part entière et conquit son indépendance à l’égard de la métaphysique en recourant systématiquement à la méthode expérimentale et en privilégiant l’observation. Se référant à la pensée évolutionniste de Herbert Spencer, au sensualisme de Condillac et, dans une moindre mesure, à la philosophie de Schopenhauer, il soutenait que les émotions et les sentiments perçus par la conscience se doublent d’états physiologiques qui leur sont parallèles. Comme dans le sensualisme, le moi n’est qu’une construction résultant d’une combinaison de mouvements simples.
Dans la Psychologie des sentiments (1896) de Ribot, l’instinct sexuel, considéré comme le dernier des sentiments simples ou primitifs annonçant le passage aux émotions composées, évolue de ses formes les plus brutes jusqu’aux formes les plus raffinées. Ses différentes manifestations n’ont qu’un seul point commun : qu’il s’agisse de l’instinct aveugle ou de la passion raffinée, l’amour sexuel n’est rien d’autre que l’écho dans la conscience de modifications physiologiques (processus chimiques, altération de la respiration, sécrétions glandulaires, etc.) telles qu’on peut en constater chez les animaux à la saison des amours. Sans ces mouvements organiques, il ne resterait rien dans la conscience de l’amour sexuel.
Or ces modifications organiques expriment simplement la nécessité pour l’espèce de conduire les individus à contribuer à la reproduction. Rejoignant la philosophie de Schopenhauer, Ribot affirme que «l’instinct sexuel consiste en un rapport fixe entre des sensations internes venant des organes génitaux ou des perceptions tactiles, visuelles, olfactives, d’une part, et des mouvements adaptés au but d’autre part». Toute la sexualité est donc expliquée à partir des finalités naturelles : il n’y a pas de différence de nature entre la sexualité humaine et la sexualité animale, qui obéissent à la même impulsion initiale et visent le même but, sinon que chez l’Homme la sexualité peut atteindre des degrés de raffinement inconnus de l’animal.
Il restait à expliquer comment l’instinct sexuel peut s’affranchir du but naturel que constitue la reproduction : en fait, la sexualité perverse ou déviante devint l’unique objet de la psychologie de la sexualité. «Dans les déviations, au moins extrêmes, de l’instinct sexuel, tout change : moyens et fins. Le but normal — la génération et la perpétuité de l’espèce — est ignoré, mis à néant.» Cherchant à élucider comment un instinct si solidement établi peut défaillir, Ribot affirma que l’explication par la dégénérescence et l’hérédité est trop générale pour être instructive. Il évoqua de possibles causes organiques (malformations), des causes sociologiques (modes d’organisation de la vie en société, absence de mixité), des causes inconscientes qui sont «plus soupçonnées qu’établies» et, enfin, des causes volontaires liées à une imagination pervertie, dans lesquelles ce serait la conscience qui dirigerait le corps au lieu de n’être que l’écho des fonctions organiques.
Approche médico-légale
Krafft-Ebing, médecin allemand qui exerça également à Vienne, poursuivit un double objectif dans Psychopathia Sexualis («Psychopathies sexuelles», 1886), ouvrage sous-titré «Étude médico-légale à l’usage des médecins et des juristes» : il entendait faire entrer définitivement les perversions sexuelles dans le domaine de la médecine de sorte qu’elles puissent être traitées au même titre que les maladies mentales et voulait fournir aux experts mandatés devant les tribunaux un tableau clinique aussi complet que possible. Krafft-Ebing fut avant tout un observateur hors du commun, rapportant avec précision et minutie plusieurs centaines de cas pathologiques.
Toutefois, les préoccupations théoriques ne sont pas absentes de son œuvre, au premier rang desquelles un souci de classification des cas observés. Si celle-ci ne cessait d’évoluer au fil des rééditions de l’ouvrage, on peut néanmoins dégager la tendance à classer les perversions en déviations au regard du but sexuel (sadisme, masochisme, voyeurisme, exhibitionnisme) et de l’objet sexuel (homosexualité, gérontophilie, pédophilie, nécrophilie, zoophilie, autoérotisme). Cette classification fut reprise plus tard par Sigmund Freud dans les Trois Essais sur la théorie de la sexualité (1905), et lui fut souvent attribuée à tort.
Parmi les autres apports théoriques de Krafft-Ebing on peut noter la prise en compte d’une sexualité infantile qui, même si elle semble le surprendre dans chaque cas évoqué et être mise sur le compte d’une étonnante «précocité», ne lui semble pas revêtir nécessairement un caractère pathologique, du moins lorsqu’elle apparaît après l’âge de sept ans. Il fallut attendre l’œuvre de Sigmund Freud pour théoriser l’existence d’une sexualité infantile chez tous les individus.
Enfin, une autre théorie originale de Krafft-Ebing pose un «état sexuel indifférencié» allant de quatorze ans environ jusqu’à vingt-deux ans, période au cours de laquelle ni le but ni l’objet de l’instinct sexuel ne sont définitivement fixés.
Approche béhavioriste
La nouveauté radicale du béhaviorisme par rapport aux écoles psychologiques du XIXe siècle consiste en une modification de l’objet de la psychologie elle-même. Ainsi, pour John Broadus Watson, le véritable objet de la psychologie ne doit pas être le psychisme humain ou la conscience, mais seulement le comportement humain. Pour le béhaviorisme, les comportements peuvent être entièrement expliqués en termes de stimulus et de réponse. La réponse de l’organisme n’est rien d’autre que l’effort qu’il fournit pour se soustraire à l’action du stimulus, ou encore pour s’adapter à ce stimulus de façon qu’il n’agisse plus sur lui. «Par ajustement, écrivit Watson, nous voulons simplement dire qu’en se mouvant l’organisme modifie son état physiologique de telle façon que le stimulus ne provoque plus de réaction.» Il est donc inutile de recourir à la notion d’instinct, qui ne ferait que masquer notre ignorance des stimuli agissant sur l’organisme ou des mécanismes par lesquels celui-ci répond.
Pour le béhaviorisme, il n’existe pas d’instinct sexuel, et la question centrale de Ribot, à savoir comment cet instinct peut venir à «défaillir», n’a donc pas à être posée. La sexualité humaine, tout comme la sexualité animale, ne fait pas exception et doit être expliquée, elle aussi, à partir des seules notions de stimulus et de réponse. La complexité plus grande de la sexualité humaine ne doit pas être mise sur le compte d’un quelconque instinct, mais elle s’explique par la complexité plus grande des stimuli au sein d’une société humaine.
Conscients du fait que tous les individus appartenant à la même société n’ont pas la même sexualité, les béhavioristes affirment que chacun répond aux stimuli en fonction de sa «structure» propre, qui conditionne sa réponse. Cette structure dépend de l’histoire de l’individu, elle est le fruit d’un conditionnement : le béhaviorisme s’inspire explicitement des théories de Pavlov en substituant le réflexe conditionné à la notion d’instinct. Comme l’écrit Pierre Naville, qui introduisit le béhaviorisme en France : «Tout acte a une histoire génétique qui en explique le mécanisme.»
Si les comportements sexuels humains sont trop complexes pour que l’on puisse croire qu’ils sont issus d’un instinct «surgi tout équipé en nous», ils ne sont rien d’autre que l’interaction de stimuli présents et d’un conditionnement hérité du passé de l’individu. Si certains comportements d’un individu sont jugés «pervers» ou «déviants» par la société à laquelle il appartient, ou ne sont pas de nature à faire «cesser le stimulus», la thérapie proposée par le béhaviorisme est celle d’un «déconditionnement» suivi d’un «reconditionnement» conforme aux attentes ou aux intérêts de la société.
Approche psychanalytique
L’autre façon de dépasser les impasses dans lesquelles s’enfonçait l’ancienne psychologie de la conscience réside bien sûr dans l’approche psychanalytique initiée par Sigmund Freud. Au lieu de nier, comme le fait le béhaviorisme, l’existence de la conscience, et même celle d’«états mentaux», la psychanalyse tente au contraire de la mettre en perspective et d’explorer ses relations complexes avec l’inconscient. Aux notions d’instinct et de réflexe vint se substituer la notion de pulsion, c’est-à-dire d’une énergie psychique libre et déplaçable, dotée d’une histoire et d’un passé, mais aussi de possibilités d’évolution.

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